Avenir
Radieux, une fission française : entre illusion et investigation
C'est
dans la trilogie "Bleu-Blanc-Rouge" que s'inscrit le
spectacle Avenir Radieux, une fission française ; de Nicolas
Lambert. Après Elf, la pompe Afrique, sur le pétrole, nous
découvrons le deuxième volet autour du nucléaire...
Nicolas Lambert, dans Avenir Radieux, une fission française |
Nicolas Lambert, c'est
d'abord un comédien de la compagnie Un pas de côté, qui a choisi
un genre exceptionnel : le théâtre documentaire. Pourquoi ce genre,
ce « documentaire à deux pattes », comme il l'appelle ?
L'acteur, lors des interviews, nous cite un slogan soixante-huitard :
« Don't hate media, be media ! ». Il s'explique : il
souhaitait voir jusqu'où ce principe pouvait fonctionner. Chercher
l'information (investigateur), monter le sujet (scénariste, metteur
en scène), et être le support (comédien), voilà qui, pour Nicolas
Lambert, forme un tout : le média. Qui peut mieux conter que celui
qui a vu ? Le comédien nous livre ensuite l'origine de sa trilogie.
C'est dans les années 2000 que le parti gaulliste accuse les
intermittents du spectacle d'être les destructeurs de l'économie.
C'est alors que Nicolas Lambert décide de chercher comment
fonctionnent et se financent le patronat français et le parti
gaulliste. Le pétrole, le nucléaire, et l'armement sont alors des
domaines lourds dans la fabrication de la République.
Nicolas
Lambert est donc, vous l'avez compris, quelqu'un d'engagé, qui s'est
investi tel un journaliste dans son projet. Il utilise des archives,
des discours historiques de la 4eme et 5eme République, comme par
exemple le discours de Nicolas Sarkozy sur le nucléaire, il assiste
au débat publique autour de la construction du prochain réacteur
nucléaire à Penly. Il insiste d'ailleurs sur le ridicule des débats
publiques, puisque ce sont des débats techniques qui ont lieu après
que la décision soit prise. Nicolas Lambert s'est aussi inspiré
d'une interview de Pierre Guillaumat datant des années 1950. On y
découvre alors un homme du pétrole, puisqu'il est directeur du
Bureau des Recherches du Pétrole, mais aussi du nucléaire, car il
est administrateur
général au CEA *, qui met au point la bombe atomique ; et de
l'armement : Pierre Guillaumat a été ministre des armées. Pierre
Guillaumat serait-il le fil rouge de la trilogie ? De plu, on apprend
avec intérêt que le nucléaire est aussi un enjeu géo-politique
face à l'Iran, qui est un partenaire de la France sur une des usines
de production d'uranium enrichi (Eurodiff à l'époque) et sur
laquelle ce pays a des droits. Nicolas Lambert prend parti, avec un
humour engagé, et avec un soin apporté pour souligner le ridicule
de certaines situations.
Le
spectacle de Nicolas Lambert nous porte dans un flot d'informations,
cependant sans saturer notre esprit, car le comédien ̶
et c'est tout là l'intérêt du spectacle ̶
ne déblatère pas les informations, il les conte, il les joue, il
les anime et les rend burlesques. Avenir
Radieux,
c'est un mélange de toute cette effrayante réalité et de
l'illusion saisissante d'une fiction. Avenir
Radieux,
c'est un Nicolas Lambert qui joue une multitude de personnages (comme
dans son dernier spectacle, où il interprète 23 personnages ! ). Et
on y croit. Il est d'un réalisme saisissant, chaque personnage est
reconnu et distinct, grâce aux techniques de jeu du comédien. Les
expressions du visage sont beaucoup utilisées, évidemment, et
Nicolas Lambert sait parfaitement modeler son visage, entrer, sortir,
se faufiler d'un personnage à l'autre. Sa performance apparaît
aussi clairement dans sa voix, qu'il sait varier au fil des états et
des rôles. Impressionnant, donc, d'entendre la palette de voix du
comédien, puisque chaque protagoniste a ses différentes émotions
(la colère, la gêne, l'empathie par exemple ! ). La gestuelle est
là aussi travaillée. On imagine le temps qu'a passé Nicolas
Lambert à imiter les hommes politiques
̶
entre
autres personnages réels ̶ dans le but de nous les faire
reconnaître aussitôt qu'il prend possession de la gestuelle, de la
voix, des expressions. Un jeu de lumière (merci Edf ! ) est aussi
mis en place pour créer l'illusion de Pierre Guillaumat, « un
homme de l'ombre » (dixit
Nicolas Lambert), qu'on voit non pas comme un personnage mais comme
un homme bel et bien réel. Et c'est en cela que le comédien nous
illusionne : nous ne pensons plus « protagonistes »,
« personnages », théâtre, même ! Nous voyons, nous
assistons à toute l'Histoire française du nucléaire, comme si nous
y étions ! Et la mélodie du contrebassiste Eric Challan, nous
laisse le loisir de la reflexion...
Avenir
Radieux,
c'est bien plus que du théâtre documentaire, c'est l'expression
d'un art éclairé et éclairant
Fiche
:
Recherche,
scénario, mise en scène, comédien :
Nicolas Lambert
Production
: Un pas de côté et le Grand Parquet
*CEA
: Commissariat à l'Énergie Atomique
Anaïs S.
[et bientôt : un article sur la BD Tchernobyl, la zone ]
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