Pages

vendredi 18 mai 2012

L'Illusion Comique, quand on veut, on charme !

L'Illusion Comique, quand on veut, on charme !

Matamore (Jean-Charles Delaume)

« Quand je veux j'épouvante, et quand je veux, je charme » dixit Matamore, personnage de L'illusion comique, de Corneille. Et on est en effet sous le charme, avec cette adaptation du Théâtre des Quartiers d'Ivry, mise en scène d'Élisabeth Chailloux. La pièce est déjà en elle-même le symbole de l'illusion. En effet, elle est publiée en 1636 et s'inscrit dans un courant nouveau et qui casse les règles du théâtre classique : le baroque.  Il désigne à l'origine une perle irrégulière, et est passé dans le lexique de l'histoire littéraire. Il s'agit d'une passion pour le changement, l'instable, en parallèle avec une conviction du caractère fragile et éphémère de toute chose (y compris de l'homme). Cette esthétique baroque se caractérise par un goût pour les travestissements, les jeux d'illusions (relation entre l'apparence et la réalité, entre le mensonge et la vérité), mais aussi par le développement et l'exploitation de l'imagination et de la sensibilité. Le baroque présente une recherche du décoratif, du théâtral, de l'excès. L'histoire est celle d'un père (Pridamant) désespéré à la recherche de son fils disparu (Clindor), qui consulte un magicien (Alcandre) pour le retrouver. Le mage fait apparaître au père stupéfait l'image de son fils, devenu serviteur de Matamore, guerrier extravagant et amoureux d'Isabelle. Clindor aime Isabelle mais il fait aussi la cour à Lyse, sa suivante. Isabelle aime Clindor, mais son père veut lui faire épouser Adraste. Tromperies, trahisons, délires de Matamore, guet-apens, rixe. Adraste est tué, Clindor emprisonné et condamné à mort. Lyse séduit le geôlier. Évasion, fuite : « Beaucoup les poursuivront mais sans trouver leurs traces ». Le père respire, son fils est sauvé. Le mage lui montre la dernière aventure de Clindor : le voici marié à Isabelle et favori du prince Florilame dont il courtise la femme. Il se fait alors poignarder par les sbires du mari. Désespoir du père, mais...
« Le traître et le trahi, le mort et le vivant
Se trouvent à la fin amis comme devant ».
Clindor, dans ses tribulations, s'est fait acteur. Le père vient d'assister à une pièce de théâtre !

La mise en abime est le comble de l'esthétique baroque : il s'agit du théâtre dans le théâtre. Le lieu d'illusion qu'est pour le spectateur le théâtre, devient le lieu d'illusion pour deux des personnages : le père et le mage, mais aussi pour le spectateur !
Au delà de ça, Corneille nous livre un Matamore particulièrement égocentrique et fanfaron. La première personne du singulier est largement dominante. On retrouve de plus le champs lexical du pouvoir et de la destruction. Il pense avoir le contrôle, le pouvoir, alors qu'il fuit lors des situations dangereuses ou gênantes : il est lâche. Matamore est uniquement dans le « paraitre ». Mais pour nous, spectateur, Matamore est grotesque, poltron, confus, prétentieux. Il participe au registre comique de la pièce, et représente le personnage de l'illusion par excellence puisqu'il est en totale contradiction avec lui même.

Par ailleurs, Corneille nous offre par le biais du mage un éloge du théâtre lors du dénouement de la pièce. Il utilise des hyperboles, souligne la réputation du théâtre à son époque, tant sur le plan populaire, que sur le plan de l'aristocratie (« chacun idolâtre » ; « l'amour de tous les bons esprits » ; « le divertissement le plus doux de nos Princes » ) : le théâtre est prestigieux, rentable, agréable...

Du côté de l'adaptation du Théâtre des Quartiers D'Ivry et de la mise en scène d'Élisabeth Chailloux, le décor est plaisant, simple et équilibré. Un voile blanc est suspendu, et l'on y voir parfois la projection d'un paysage brumeux, lunaire. La lumière est peu présente au début du spectacle. Lorsque nous sommes devant la demeure d'Isabelle un faux mur est installé. À la fin, un dégradé de voiles transparents et sombres créent les différents plans. Les déplacements sont très présents. Alcandre et Pridamant ne sont pas toujours aux mêmes endroits : en coulisse, sur les côtés, parfois Alcandre ou Pridamant est derrière le voile (second plan), ou bien ils s'assoient sur les sièges du public à l'avant : ils sont comme nous, des témoins de l'histoire.

Le rythme du jeu et des paroles est tout à fait accessible malgré les alexandrins. On est éblouit par le dynamisme des comédiens, notamment du personnage de Matamore avec son grand chapeau à plume, tel un poussin qui se prend pour un coq ! Il y a par ailleurs quelques anachronismes dans les costumes, bien qu'en général ceux-ci soient plutôt « classiques ». Par exemple, Clindor porte un jean. Alcandre est très imposant, et Adraste arbore un look plutôt « eighties » avec sa veste en velour violette et son pantalon évasé. Les personnages sont maquillés de sorte que leurs peaux soient blanches, et que leurs traits ressortent (rouge à lèvre et contour des yeux foncés).

Que retenir de cette pièce ? Un dynamisme et des contrastes dans l'adaptation, et le génie de Corneille pour cet « étrange monstre qu' [il nous] dédie ».



Fiche :
Mise en scène : Elisabeth Chailloux
Scènographie, lumière : Yves Collet
Costumes : Agostino Cavalca
Son : Anita Praz
Comédiens : Raphaèle Bouchard, Frédéric Cherboeuf, Etienne Coquereau, Jean-Charles Delaume, Malik Faraoun, François Lequesne, Adrien Michaux, Lara Suyeu.

Anaïs S.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire