Matamore (Jean-Charles Delaume) |
« Quand
je veux j'épouvante, et quand je veux, je charme »
dixit Matamore, personnage de L'illusion comique, de
Corneille. Et on est en effet sous le charme, avec cette adaptation
du Théâtre des Quartiers d'Ivry, mise en scène d'Élisabeth
Chailloux. La pièce est déjà en elle-même le symbole de
l'illusion. En effet, elle est publiée en 1636 et s'inscrit dans un
courant nouveau et qui casse les règles du théâtre classique : le
baroque. Il
désigne à l'origine une perle irrégulière, et est passé dans le
lexique de l'histoire littéraire. Il s'agit d'une passion pour le
changement, l'instable, en parallèle avec une conviction du
caractère fragile et éphémère de toute chose (y compris de
l'homme). Cette esthétique baroque se caractérise par un goût pour
les travestissements, les jeux d'illusions (relation entre
l'apparence et la réalité, entre le mensonge et la vérité), mais
aussi par le développement et l'exploitation de l'imagination et de
la sensibilité. Le baroque présente une recherche du décoratif, du
théâtral, de l'excès. L'histoire est celle d'un père (Pridamant) désespéré à
la recherche de son fils disparu (Clindor), qui consulte un magicien
(Alcandre) pour le retrouver. Le mage fait apparaître au père
stupéfait l'image de son fils, devenu serviteur de Matamore,
guerrier extravagant et amoureux d'Isabelle. Clindor aime Isabelle
mais il fait aussi la cour à Lyse, sa suivante. Isabelle aime
Clindor, mais son père veut lui faire épouser Adraste. Tromperies,
trahisons, délires de Matamore, guet-apens, rixe. Adraste est tué,
Clindor emprisonné et condamné à mort. Lyse séduit le geôlier.
Évasion, fuite : « Beaucoup les poursuivront mais sans
trouver leurs traces ». Le père respire, son fils est
sauvé. Le mage lui montre la dernière aventure de Clindor : le
voici marié à Isabelle et favori du prince Florilame dont il
courtise la femme. Il se fait alors poignarder par les sbires du
mari. Désespoir du père, mais...
« Le
traître et le trahi, le mort et le vivant
Se
trouvent à la fin amis comme devant ».
Clindor,
dans ses tribulations, s'est fait acteur. Le père vient d'assister à
une pièce de théâtre !
La
mise en abime est le comble de l'esthétique baroque : il s'agit du
théâtre dans le théâtre. Le lieu d'illusion qu'est pour le
spectateur le théâtre, devient le lieu d'illusion pour deux des
personnages : le père et le mage, mais aussi pour le spectateur !
Au
delà de ça, Corneille nous livre un Matamore particulièrement
égocentrique et fanfaron. La première personne du singulier est
largement dominante. On retrouve de plus le champs lexical du pouvoir
et de la destruction. Il pense avoir le contrôle, le pouvoir, alors
qu'il fuit lors des situations dangereuses ou gênantes : il est
lâche. Matamore est uniquement dans le « paraitre ».
Mais pour nous, spectateur, Matamore est grotesque, poltron, confus,
prétentieux. Il participe au registre comique de la pièce, et
représente le personnage de l'illusion par excellence puisqu'il est
en totale contradiction avec lui même.
Par
ailleurs, Corneille nous offre par le biais du mage un éloge du
théâtre lors du dénouement de la pièce. Il utilise des
hyperboles, souligne la réputation du théâtre à son époque, tant
sur le plan populaire, que sur le plan de l'aristocratie (« chacun
idolâtre » ; « l'amour de tous les bons esprits »
; « le divertissement le plus doux de nos Princes » ) :
le théâtre est prestigieux, rentable, agréable...
Du
côté de l'adaptation du Théâtre des Quartiers D'Ivry et de la
mise en scène d'Élisabeth Chailloux, le décor est plaisant, simple
et équilibré. Un voile blanc est suspendu, et l'on y voir parfois
la projection d'un paysage brumeux, lunaire. La lumière est peu
présente au début du spectacle. Lorsque nous sommes devant la
demeure d'Isabelle un faux mur est installé. À la fin, un dégradé
de voiles transparents et sombres créent les différents plans. Les
déplacements sont très présents. Alcandre et Pridamant ne sont pas
toujours aux mêmes endroits : en coulisse, sur les côtés, parfois
Alcandre ou Pridamant est derrière le voile (second plan), ou bien
ils s'assoient sur les sièges du public à l'avant : ils sont comme
nous, des témoins de l'histoire.
Le
rythme du jeu et des paroles est tout à fait accessible malgré les
alexandrins. On est éblouit par le dynamisme des comédiens,
notamment du personnage de Matamore avec son grand chapeau à plume,
tel un poussin qui se prend pour un coq ! Il y a par ailleurs
quelques anachronismes dans les costumes, bien qu'en général
ceux-ci soient plutôt « classiques ». Par exemple,
Clindor porte un jean. Alcandre est très imposant, et Adraste arbore
un look plutôt « eighties » avec sa veste en velour
violette et son pantalon évasé. Les personnages sont maquillés de
sorte que leurs peaux soient blanches, et que leurs traits ressortent
(rouge à lèvre et contour des yeux foncés).
Que
retenir de cette pièce ? Un dynamisme et des contrastes dans
l'adaptation, et le génie de Corneille pour cet « étrange
monstre qu' [il nous] dédie ».
Fiche
:
Mise
en scène : Elisabeth
Chailloux
Scènographie,
lumière : Yves Collet
Costumes
: Agostino Cavalca
Son
: Anita Praz
Comédiens
: Raphaèle Bouchard, Frédéric Cherboeuf, Etienne Coquereau,
Jean-Charles Delaume, Malik Faraoun, François Lequesne, Adrien
Michaux, Lara Suyeu.
Anaïs S.
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